Asie : l'inquiétante expansion du marché des drogues synthétiques

Synthetic drugs in East and Southeast Asia - UNODC | Avril 2024

Le rapport 2024 de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dresse un tableau alarmant de l’évolution du marché des drogues de synthèse en Asie de l’Est et du Sud-Est. Cette région, déjà considérée comme l’épicentre mondial de la production et du trafic de méthamphétamine, fait face à une diversification croissante des substances illicites disponibles. La méthamphétamine se maintient comme la drogue de synthèse dominante dans la région. Malgré les efforts des autorités, sa production atteint des niveaux records, notamment dans le Triangle d’Or (entre la Birmanie, le Laos et la Thaïlande).

L’année 2023 a marqué un tournant dans la lutte contre le trafic de méthamphétamine en Asie de l’Est et du Sud-Est, avec des saisies sans précédent de 190 tonnes. Parmi ces saisies, l’Asie du Sud-Est a été particulièrement touchée, interceptant à elle seule 169 tonnes, soit 89% du total régional. En Malaisie, des augmentations spectaculaires en termes de saisies, allant jusqu’à +1.000%, et au Vietnam à +950% entre 2018 et 2022, ont été notées. Cette surproduction entraîne une baisse des prix et une hausse de la pureté du produit, rendant la méthamphétamine plus accessible et dangereuse pour les consommateurs. Taïwan a également saisi plusieurs installations de fabrication de méthamphétamine et de ses précurseurs chimiques en 2023. Par exemple, en avril 2023, les forces de l’ordre ont démantelé une fabrique illicite dans le comté de Pingtung, où elles ont découvert 1.600 kilos de méthamphétamine à un stade de production semi-fini. Le rapport souligne également l’émergence de nouvelles routes de trafic, notamment vers l’Océanie et l’Europe, via l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.

Saisies de méthamphétamine en Asie de l’Est et du Sud-est, 2014-2023

Routes du trafic de méthamphétamines en Asie du Sud-est et en Océanie, 2022-2023

Le marché de la kétamine connaît également une croissance inquiétante dans la région. Les saisies ont fortement augmenté, notamment en Malaisie de +950% et à Hong Kong de +540% entre 2018 et 2022. La production, auparavant concentrée en Inde et en Chine, se déplace vers l’Asie du Sud-Est, en particulier au Cambodge, qui a saisi plus d’une tonne en 2023 et au Myanmar (soit plus de 74% comparé à 2022). Entre 2020 et 2022, les autorités cambodgiennes ont démantelé 16 laboratoires de production de kétamine à grande échelle et installations de stockage de produits chimiques, dont 13 rien qu’en 2022. Aucun site de production de kétamine n’a été démantelé au Cambodge en 2023. La plus grande saisie de kétamine au Cambodge en 2023 s’élevait à 789,8 kilos, avec une origine birmane. A Taïwan, les autorités ont saisi 4,2 tonnes de kétamine en 2023, soit une augmentation de 45 % par rapport à l’année précédente (2,9 tonnes) et le total le plus élevé observé au cours des dix dernières années. À Hong Kong, en Chine, les autorités ont saisi 2,7 tonnes de kétamine en 2023, soit une augmentation de 22,8 % par rapport à l’année précédente et le total le plus élevé jamais signalé dans le territoire. Cette évolution s’accompagne d’une baisse des prix et d’une hausse de la pureté, rendant la kétamine plus accessible et attrayante pour les consommateurs.

Saisies de kétamine en Asie de l’Est et du Sud-est, 2019-2023

Après une baisse pendant la pandémie de COVID-19, le marché de l’ecstasy connaît un rebond significatif. Les autorités ont intercepté un nombre record de comprimés, équivalant à plus de 26,7 millions d’unités, principalement en Malaisie, avec une origine européenne prédominante. Les saisies ont notamment augmenté en Indonésie de +240% entre 2021 et 2022. À titre de comparaison, environ 1,1 million de comprimés avaient été saisis en 2022, 977.133 en 2021 et 3,7 millions en 2020. Toujours sur la Malaisie, la plus grande saisie a eu lieu en mai 2023, avec environ 3,5 millions de comprimés (1.063 kilos) découverts dans un conteneur maritime au terminal de North Butterworth, dissimulés dans des compresseurs silencieux modifiés. Au complexe de fret aérien de l’aéroport international de Kuala Lumpur, plusieurs grandes saisies ont également été réalisées, dont une en juillet 2023 de plus de 833.000 comprimés (250 kilos), cachés dans des boîtes déclarées comme accessoires automobiles, et une autre en août 2023 de 1,5 million de comprimés (436,2 kilos), dissimulés dans des boîtes déclarées comme outils divers. Le rapport note une tendance à la hausse des dosages de MDMA dans les comprimés d’ecstasy, augmentant les risques pour les consommateurs.

Saisies de comprimés d’ecstasy en Asie de l’Est et du Sud-est, 2019-2023

Le rapport met également en lumière la prolifération des nouvelles substances psychoactives (NPS) dans la région. Ces drogues de synthèse, souvent vendues comme substituts légaux aux drogues traditionnelles, représentent un défi majeur pour les autorités en raison de leur diversité et de leur évolution rapide. Les cannabinoïdes synthétiques et les cathinones de synthèse sont particulièrement préoccupants, avec une augmentation des saisies dans plusieurs pays. Le rapport souligne également l’émergence de nouvelles tendances, comme l’utilisation de précurseurs non contrôlés pour la fabrication de drogues synthétiques. En décembre 2023, 551 NPS distinctes avaient été identifiées en Asie de l’Est et du Sud-Est. Rien qu’en 2023, 91 nouvelles substances ont été détectées, marquant la première augmentation depuis 2015. Parmi les nouveautés préoccupantes figurent des produits tels que les « sucettes festives », combinant MDMA, méthamphétamine, kétamine et tramadol.

NPS par substance par années de 2019 à 2923 (à gauche) et par nombre en 2022 et 2023 (à droite) en Asie de l’Est et du Sud-est

Face à ces défis, l’ONUDC appelle à une coopération régionale et internationale renforcée, à l’amélioration des systèmes de surveillance et d’alerte précoce, et à des investissements accrus dans la prévention et le traitement de la toxicomanie. Selon l’UNODC, le Myanmar est considéré comme le pays le plus profondément ancré dans le trafic de drogue en Asie du Sud-Est. Le Myanmar fait partie du « Triangle d’Or », région également à cheval sur le Laos et la Thaïlande, connue pour être l’un des principaux centres mondiaux de production d’opium, et aujourd’hui, de méthamphétamine. Le pays dispose d’une infrastructure de production de drogue bien développée, héritée de décennies de culture du pavot à opium et de production d’héroïne. Des zones sont contrôlées par des groupes armés ethniques, notamment dans l’État Shan au centre-est du pays. Ces espaces sont propices à la production de drogues à grande échelle. De plus, l’instabilité politique persistante et les conflits internes au Myanmar ont créé un environnement favorable aux activités illégales, y compris le trafic de drogue. Cet épicentre névralgique du trafic transfrontalier, partageant ses frontières avec la Chine, la Thaïlande, le Laos, l’Inde et le Bangladesh, offre un point de transit idéal pour le trafic de drogue vers d’autres parties de l’Asie. Il est important de noter que d’autres pays de la région, comme la Malaisie, le Laos et certaines parties de la Thaïlande, sont également fortement impliqués dans ces trafics.

Par Anaë Woodward

Voir le rapport ici
ou https://www.unodc.org/roseap/uploads/documents/Publications/2024/Synthetic_Drugs_in_East_and_Southeast_Asia_2024.pdf

 

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