L'industrie du racket au Cap
Global Initiative against Transnational Organized Crime | Avril 2024Le thinktank Gloval Initiative against Transnational Organized Crime (GI-TOC) a publié une étude le marché du racket dans une des principales villes d’Afrique du Sud, Le Cap. L’étude s’arrête sur plusieurs thématiques :
◊ Le Central Business District (CBD), le quartier des affaires du Cap
Le soir venu, ce quartier devient le secteur des sorties : boîtes, de nuit, bars, restaurants,…
Le premier à s’intéresser au secteur est le boss Cyril Beeka, à la fin des années 1990. Son implantation s’accompagne de violences mais entre 2000 et 2011 Bekaa domine via ses deux sociétés de sécurité privée. De fait, les actes de violences sont en forte baisse.
En 2011, Bekaa est abattu et le groupe de Mark Lifman et André Naudé parvient à prendre sa place après des règlements de comptes. Lifman domine l’extorsion dans le CBD jusqu’en 2017. Durant cette période, on observe à nouveau une stabilisation des violences…
A partir de 2017, un autre acteur criminel, Nafiz Modack, tente de s’imposer dans le racket au Cap : des violences sont observées avec le groupe Lifman-Naudé et Modack semble prendre le dessus…. En décembre 2020, Lifman et son allié Jerome Booysen, chef de gang, sont arrêtés. Quelques mois plus tard, en avril 2021, Modack est également interpellé, notamment accusé du meurtre d’un Lieutenant-Colonel de la police… Modack se voit refuser une liberté conditionnelle, alors que Lifman est libéré contre une caution. Cela lui permettrait donc de se ré-implanter dans le racket dans le CBD, en y chassant les proches de Modack…
◊ La construction
A partir de 2014, dans le KwaZuku Natal (côte est de l’Afrique du Sud), des hommes armés s’en prennent à des projets immobiliers, exigeant leur part… Ce phénomène (construction mafia) s’étend à l’ensemble du pays à partir de 2018. Dans la région du Cap, l’épisode le plus marquant est une attaque en mars 2019 sur un site, en construction, de stockage de pétrole. Les attaques se multiplient les années suivantes sur les sites de construction immobilière et d’infrastructures : les racketteurs ciblent les collectivités publiques et les entreprises contractantes. En février 2024, la ville du Cap tentait de protéger 22 sites de construction… Une dizaine d’homicides sont recensés en lien avec cette « mafia de la construction » (alliant entrepreneurs corrompus et gangs), et notamment un assassinat ciblé en février 2023 : Wendy Kloppers, employée au service des affaires environnementales de la municipalité. Le gang des 28’s semble impliqué dans ce meurtre sur un site de construction où deux ouvriers avaient déjà été blessés par balles 12 jours plus tôt. Ralph Stanfield, un des boss des 28’s, contrôlerait au moins 16 entreprises de construction, désormais blacklistées par les services de la ville du Cap.
◊ Les transports
Les taxis minibus sont le principal moyen de transport pour la classe ouvrière et les chômeurs du Cap. C’est un moyen bon marché (souvent unique…) pour circuler dans et depuis les towships : il s’agit d’un secteur essentiellement informel, représenté par 3 associations au Cap, rivales voire ennemies. En 2020-2021, une guerre entre les associations ODETA et CATA a fait 239 morts dans la province. Les taxis doivent payer une adhésion d’entrée dans une des associations, mais aussi des adhésions annuelle et hebdomadaires (variant selon le secteur où ils opèrent) : le imali yebakede (« l’argent pour le seau »). Du racket organisé, les associations bénéficiant de l’aide d’employés municipaux corrompus.
Depuis la fin des années 1990, plusieurs gangs du Cap (notamment les Hard Livings) se sont lancés dans l’industrie du taxis, soit comme opérateurs, soit racketteurs. Dans les années 2000, l’extorsion est étendue aux sociétés de bus et, depuis le Covid, à toutes personnes voulant emprunter certaines routes (familles, employés circulant en co-voiturage, sociétés privées d’autocar, transports scolaires,…) et des barrages sont même établis pour exiger le paiement… Certains véhicules peuvent être « saisis » et certains chauffeurs peuvent être pris en otage par les groupes de racketteurs.
◊ Les townships (quartier pauvre et sous-équipé réservé aux non-Blancs)
Depuis toujours, les principaux gangs (les « historiques » Hard Living, Sexy Boys et 28’s ; ou les émergents Boko Haram et Guptas, d’une organisation plus souple mais affiliés aux gangs des Nombres) des townships réclament une « taxe de protection » sur les activités économiques, légales ou informelles, se trouvant sur les territoires qu’ils contrôlent. Prélevées chaque semaine, ces « taxes » sont également le moyen de revendiquer un territoire. Les boss et leurs lieutenants ont une bonne connaissance du montant du racket hebdomadaire. Les « soldats » du gang ont parfois la tentation de prélever plus que prévu, pour leurs propres comptes. Si le gang l’apprend, le fautif peut être passé à tabac voire tué.
Les activités de racket dans les townships sont également liés au secteur des taxis et aux braquages.
Voir le rapport ici
ou https://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2024/04/Jenni-Irish-Qhobosheane-The-shadow-economy-Uncovering-Cape-Towns-extortion-networks-GI-TOC-April-2024.pdf
NDLR : Le « gang des Nombres » est sans doute apparu en 1906 dans les mines et les prisons de la région de Johannesburg. Il est actuellement le gang de prison le plus important du pays. Les « Nombres » se divisent en trois entités : les « 28 » sont les soldats du gang, eux-même divisés entre ceux qui se battent et ceux qui servent d’esclaves sexuels ; les « 27 » sont chargés d’exécuter les contrats pour le gang, ils accumulent donc les lourdes peines de prison ; enfin, les « 26 » sont chargés d’alimenter les caisses du gang par divers trafics. Dans les faits, ils sont souvent rivaux.
Le gang des « Hard Livings » a été créé dans le quartier Manenberg, au Cap, en 1971 par les frères jumeaux Rashied et Rashaad Staggie. D’abord petit gang de rue, les Hard Livings sont devenus un « super gang », rassemblant sous sa bannière plusieurs autres gangs, et désormais impliqués dans le trafic local et régional de stupéfiants, le racket, le braconnage, le proxénétisme,… Rashied a été brûlé vif par un groupe islamiste en 1996 et Rashaad a été abattu en décembre 2019.
L’ « homme d’affaires » Nafiz Modack est considéré comme une figure de la pègre du Cap. En octobre 2017, il a été vu dans un hôtel du Cap en compagnie de Duduzame Zuma, le fils du Président d’Afrique du Sud de l’époque, Jacob Zuma. Il a été interpellé en décembre 2017 et accusé d’extorsion et intimidation. Il aurait été à la tête d’une faction qui veut prendre le contrôle du marché de la sécurité des bars et boîtes de nuit de la ville, ce qui aurait provoqué une série de violences entre groupes rivaux. Remis en liberté sous caution, il a de nouveau été interpellé en février 2018, cette fois-ci accusé d’extorsion de fonds contre plusieurs boîtes de nuit à Johannesburg. En avril 2021, il a été interpellé dans le cadre de l’enquête sur le meurtre en septembre 2020 d’un policier spécialisé dans la pègre sud-africaine et de la tentative de meurtre sur un avocat.
Jerome « Donkie » Booysen, est depuis les années 1990 un des leaders du gang des « Sexy Boys » aux côtés de ses frères Michael (incarcéré à perpétuité pour un homicide) et Colin (libéré de prison début 2012, grièvement blessé par balles en mai 2013). Le gang est affilié au gang des 26. Pendant 21 ans et jusqu’en 2006, Jerome Booysen a été inspecteur du bâtiment, employé par la Municipalité du Cap. Il a été accusé de 3 meurtres mais ces accusations n’ont jamais abouti à un procès. On le soupçonne notamment d’avoir commandité l’assassinat de Cyril Beeka, une des figures de la pègre du Cap, abattu le 21 mars 2011. Lui-même a été visé à plusieurs reprise dans ce qu’on a appelé la « guerre des boîtes de nuit », l’opposant notamment à son frère Colin Booysen, allié à Modack.
Mark Lifman est à la tête de la société « Specialised Protection Services » (SPS), une société de sécurité privée soupçonnée de racketter les établissements de nuit : la SPS assurerait la protection d’au moins 200 boîtes, bars et restaurants du Cap. Seuls les dealers liés au gang des « Sexy Boys » ont l’autorisation d’opérer dans ces établissements.
Officiellement gérant d’une station-service, Ralph Stanfield est considéré comme un des chefs du gang des 28’s. Il était également le neveu de Colin Stanfield, un des plus importants caïds du Cap jusqu’à sa mort par cancer en 2004. Ralph Stanfield a été blessé par balles en juillet 2017 lors d’une attaque à Johannesburg.
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