Monaco : le rôle des facilitateurs professionnels dans le blanchiment
Autorité Monégasque de Sécurité Financière | 04.25Publié en mars 2025, le rapport d’analyse stratégique de la Cellule de Renseignement Financier (lutte anti-blanchiment de Monaco) met en évidence le rôle central des facilitateurs professionnels dans les mécanismes de blanchiment de capitaux. Selon la définition du Groupe d’action financière (GAFI), le « professional money laundering » (blanchiment professionnel de capitaux) est caractérisé par la fourniture de services de blanchiment de capitaux en échange de commissions, honoraires ou autre forme de profit. Il se distingue de « l’auto-blanchiment » par le fait qu’il s’agit de l’acte d’un prestataire de services .
Les organisations criminelles recourent à ces facilitateurs professionnels pour plusieurs raisons, principalement pour soutenir des activités criminelles complexes et d’ampleur internationale. Ils s’en servent également pour dissimuler la nature criminelle de leurs activités derrière une apparence de légitimité, notamment en présentant de manière spécieuse la valeur, les mouvements, l’usage ou la propriété de fonds ou de biens.
Plusieurs exemples concrets illustrent les activités et professions exercées par ces « experts facilitateurs » : utilisation de cabinets d’avocats, création de sociétés complexes ou écrans, manipulation de documents (tels que de fausses assurances) ou encore recours à des mécanismes financiers sophistiqués déployés à travers différentes juridictions pour dissimuler l’origine des fonds. Ils exploitent leur connaissance approfondie des failles dans les cadres réglementaires, les systèmes bancaires et les structures juridiques. Ils peuvent également disposer d’outils technologiques de pointe Souvent ils sont impliqués dans des réseaux criminels de grande envergure . Certains exercent une activité licite en parallèle de leur activité criminelle . Ils peuvent diffuser leur offre de services par le bouche-à-oreille, sur le darknet, ou via des plateformes d’échange cryptées.
Deux typologies, élaborées à partir des activités opérationnelles de la Cellule de Renseignement Financier, illustrent concrètement le recours à ces facilitateurs professionnels. Il s’agit de schémas récurrents observés dans plusieurs dossiers. Bien qu’elles ne reflètent pas nécessairement les circonstances précises de chaque cas individuel, ces typologies permettent de mieux comprendre les modes opératoires les plus fréquemment identifiés.
Typologie 1 : FAUSSES POLICES D’ASSURANCE DISSIMULANT DES ÉCHANGES COMMERCIAUX ILLICITES
La première typologie met en lumière l’utilisation d’une compagnie d’assurance pour structurer un mécanisme de blanchiment. Dans le cas observé, la société A, entreprise de transport installée dans le pays Alpha et disposant de comptes à Monaco, s’appuie sur la société B, une compagnie d’assurance enregistrée dans le pays Bêta.
La société B émet de fausses polices d’assurance destinées à couvrir des biens illégalement transportés. Ces documents viennent appuyer des justificatifs douaniers falsifiés, donnant une apparence légitime aux opérations. Les primes d’assurance, fixées à des montants anormalement élevés, permettent de rémunérer la société B pour son rôle. Ces flux suspects ont été repérés par des établissements financiers monégasques. Un ancien bénéficiaire effectif de la société B a par ailleurs été cité dans la presse pour ses liens présumés avec la criminalité organisée.
Typologie 2 : TRANSFERTS DE FONDS VIA UN INTERMÉDIAIRE JURIDIQUE
Cette seconde typologie met en évidence le rôle que peuvent jouer certains professionnels du droit dans des mécanismes de blanchiment. Des fonds issus de juridictions à haut risque sont déplacés en transitant par un cabinet d’avocats, utilisé comme intermédiaire de confiance. Dans le cas analysé, la société D, cabinet situé dans le pays Delta, regroupe des transferts provenant de sources multiples avant de les reverser à la société C, entreprise enregistrée à Monaco.
L’origine réelle des fonds est ainsi brouillée : certains transferts provenaient d’un compte bancaire situé dans le pays Oméga, identifié comme juridiction à haut risque. Cette opération de “blending” — mélange de fonds à risque avec d’autres plus neutres — rend les flux moins visibles. Les transactions présentent des libellés vagues tels que “contrat” ou “levée de séquestre”, et aucun justificatif solide n’a été fourni par la société C. Une couverture médiatique négative avait par ailleurs visé certaines personnes physiques en lien avec les entités concernées.
Au-delà de ces deux typologies, le rapport recense d’autres indicateurs observés dans des cas opérationnels ou mentionnés dans des publications internationales. Ces éléments doivent être analysés de manière cumulative et à la lumière des facteurs de risque contextuels.
Ils incluent la participation d’intermédiaires juridiques ou financiers sans motif économique apparent, la gestion de fonds pour le compte de tiers sans identification du client, des primes d’assurance élevées ou en hausse sans justification, des transferts liés à des mécanismes de séquestre ou de trusts sans cadre contractuel clair, et des libellés vagues ou codés dans les transactions.
Le recours à des sociétés écrans, à des structures complexes ou à des moyens de paiement alternatifs, ainsi que la présence de presse négative sur des personnes physiques ou morales concernées, sont également relevés. Des signes de falsification documentaire ou des écarts dans les états financiers peuvent compléter ces signaux.
NDLR : Ce rapport ne constitue pas une source exhaustive ni officielle des règles applicables en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive (LBC/FT-P) à Monaco. Il repose exclusivement sur les textes en vigueur à la date de sa publication et n’a pas valeur de conseil juridique. Pour une compréhension complète et précise de leurs obligations, il faut se référer :
- A la loi n° 1.362 du 3 août 2009 modifiée, qui fixe le cadre juridique de la LBC/FT-P en Principauté. Cette loi définit notamment les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, les procédures de déclaration de soupçons auprès du SICCFIN (Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers, cellule de renseignement financier), ainsi que les mesures de gel des avoirs en lien avec la prévention du financement du terrorisme ;
- ainsi qu’aux lignes directrices de l’AMSF (Autorité Monégasque de Sécurité Financière, autorité de régulation prudentielle), qui précisent l’application concrète de ces dispositions. Ces lignes directrices détaillent, par exemple, les critères d’évaluation des risques, les exigences de formation interne pour les personnels concernés, ou encore les attentes en matière de dispositifs de contrôle interne.
Si les grands principes de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sont similaires à ceux appliqués en France, plusieurs différences importantes sont relevées :
- À Monaco, le contrôle est exercé par le SICCFIN, cellule de renseignement financier indépendante rattachée au gouvernement princier, alors qu’en France il est confié à TRACFIN (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), cellule relevant du ministère de l’Économie et des Finances.
- Les lignes directrices de l’AMSF (Mo ont un rôle prescriptif marqué, parfois plus détaillé que les recommandations françaises émises par l’ACPR (Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, superviseur bancaire et assurantiel).
- Si la connaissance client (KYC, dispositif d’identification et de vérification de la clientèle) est obligatoire dans les deux pays, Monaco impose des exigences renforcées pour certaines clientèles à risque élevé, notamment en raison de la forte internationalisation de sa place financière.
- Les procédures de déclaration de soupçons présentent des particularités formelles propres à Monaco par rapport au formalisme français applicable vis-à-vis de TRACFIN.
- Enfin, le régime de sanctions diffère : en France, il est structuré par le code monétaire et financier et appliqué notamment par l’AMF (Autorité des marchés financiers, régulateur des marchés financiers) qui agrée et régule et l’ACPR (qui intervient sur la conformité des activités monétaires) ; à Monaco, il existe un barème spécifique, adapté aux réalités locales.
Voir le rapport ici
ou https://amsf.mc/actualites/analyse-strategique-rapport-sur-les-facilitateurs-professionnels-du-blanchiment-de-capitaux
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