Odessa, carrefour stratégique du crime organisé en Ukraine

GI-TOC | Avril 2025

Située au carrefour des flux commerciaux de la Mer Noire, la ville ukrainienne d’Odessa s’impose depuis plusieurs années comme un centre stratégique pour le crime organisé. Selon un rapport publié par la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (GI-TOC), la guerre déclenchée en 2022 par la Russie n’a fait qu’accentuer le poids des groupes criminels dans cette ville portuaire, exposée à la fois aux enjeux géopolitiques et aux dynamiques mafieuses enracinées.

Ville portuaire majeure, Odessa constitue l’un des principaux points de sortie des exportations agricoles ukrainiennes, notamment les céréales. La guerre a redoublé l’importance de ce port en l’intégrant à des accords humanitaires internationaux tels que l’initiative céréalière de la Mer Noire. Ce positionnement géographique et économique attire les convoitises : plusieurs groupes criminels s’efforcent d’en contrôler des segments clés, comme les terminaux, les compagnies logistiques ou les flux financiers qui y transitent.

L’étude souligne que le crime organisé à Odessa n’est pas un phénomène nouveau. Depuis la période soviétique, la ville a vu émerger des structures mafieuses implantées dans les sphères économiques et politiques locales. Aujourd’hui encore, des réseaux composés d’hommes d’affaires, d’anciens responsables de l’appareil sécuritaire, de figures politiques et d’acteurs criminels collaborent dans l’ombre. Ils exercent un contrôle sur divers secteurs : import-export, immobilier, carburants, marchés publics et chantiers de construction.

Certaines figures locales, anciennes ou actuelles, sont soupçonnées de liens persistants avec des réseaux mafieux. Le rapport mentionne des pratiques de blanchiment d’argent via des projets de développement urbain, ainsi que des pressions exercées sur les fonctionnaires municipaux ou les journalistes d’investigation.
La corruption constitue un levier central pour ces groupes. Elle facilite l’attribution de contrats publics, la protection d’activités illégales et l’impunité judiciaire. Les élites locales jouent parfois un rôle ambivalent, entre lutte contre le crime et collusion avec certains intérêts occultes. Selon les auteurs du rapport, l’influence du crime organisé à Odessa repose en grande partie sur l’infiltration des institutions, y compris les services de police, les douanes, et l’administration portuaire.

Le conflit armé en Ukraine a modifié l’équilibre des forces criminelles. Si l’armée ukrainienne a maintenu un certain contrôle sur la ville, la guerre a aussi entraîné des zones grises : désorganisation institutionnelle, hausse de la pauvreté, flux massifs d’aide humanitaire et reconstruction. Ces failles ont permis aux groupes criminels de se repositionner.

Le rapport documente ainsi des cas de détournement d’aide humanitaire, de trafics de carburant et de contrôle de chaînes logistiques militaires ou agricoles. Certains groupes opèrent également à travers des sociétés écrans ou des coopératives agricoles fictives.

Malgré ces dynamiques, Odessa donne parfois l’image d’une ville relativement sûre et bien gérée. Cette stabilité apparente serait en réalité permise par une forme d’accord tacite entre groupes criminels concurrents (une « pax mafiosa ») qui évite les conflits ouverts et assure la continuité des affaires.
Ce système de régulation informel permet aux mafias d’imposer des taxes illégales, de racketter les entreprises locales et de contrôler l’accès à certains marchés, tout en évitant d’attirer l’attention des autorités centrales ou des partenaires internationaux.

L’après-guerre pourrait représenter une opportunité majeure pour l’expansion du crime organisé si des mesures préventives ne sont pas prises. L’afflux de financements internationaux destinés à la reconstruction, combiné à l’opacité persistante de certaines procédures administratives, expose Odessa à un risque de capture par des intérêts mafieux.

Le rapport recommande plusieurs axes d’action :

  • renforcement des mécanismes de transparence dans les marchés publics ;

  • contrôle international des fonds de reconstruction ;

  • surveillance des activités portuaires ;

  • soutien accru aux journalistes et activistes locaux menacés ;

  • renforcement des capacités des forces de l’ordre non corrompues.

Voir le rapport ici
ou https://globalinitiative.net/wp-content/uploads/2025/04/Odesa-An-oasis-for-organized-crime-GI-TOC-April-2025.pdf

Par Louis Gomes-Lukic

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