Le Timor-Leste, nouvelle cible des investissements criminels
UNODC | Septembre 2025
Le rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) a publié une étude intitulée « Strategic infiltration of vulnerable jurisdictions through criminal foreign direct investments: the case of Timor-Leste ». Il analyse la manière dont des groupes criminels transnationaux exploitent les investissements directs étrangers pour infiltrer des juridictions vulnérables et y installer leurs activités sous couverture légale. Il s’intéresse tout particulièrement au cas du Timor-Leste et à sa région autonome d’Oecusse-Ambeno (RAEOA), déjà ciblée par des réseaux organisés cherchant à établir un centre d’arnaques en ligne (« scam centers« ) calqué sur les modèles développés dans le Mékong, au Cambodge ou en Birmanie.
L’UNODC constate que ces groupes utilisent les zones franches et les régimes spéciaux d’investissement pour bâtir des infrastructures criminelles tout en donnant une apparence de légalité à leurs capitaux. Ces investissements dissimulent des opérations de blanchiment, de fraude numérique, de jeux illégaux et de trafic d’êtres humains. Dans plusieurs régions d’Asie du Sud-Est (au Cambodge, au Myanmar, aux Philippines), ces zones économiques spéciales sont devenues des foyers d’activités criminelles où prolifèrent casinos, call centers frauduleux et plateformes de jeux en ligne. Ces espaces, caractérisés par une faible surveillance et une régulation lacunaire, offrent aux organisations criminelles des conditions idéales pour dissimuler leurs flux financiers.
Au Timor-Leste, l’enquête met en lumière la vulnérabilité de la zone franche numérique d’Oecusse (Oecusse Digital Centre, ODC), considérée comme une porte d’entrée pour ces réseaux. En août 2025, la police scientifique et le service national de renseignement ont mené une perquisition dans un hôtel local, où ont été saisis des cartes SIM et des équipements Starlink, marqueurs fréquents d’activités de cyberfraude. Les individus trouvés sur place, diplômés en technologies de l’information, illustrent la montée en compétence et la professionnalisation des acteurs des « scam centres » régionaux.
L’établissement est relié à d’autres structures situées à Dili (capitale du Timor oriental), dont certaines liées à l’ancienne direction de la RAEOA, ainsi qu’à une entreprise officiellement chargée du développement numérique de la région. Cette dernière, Tech Company A, avait été désignée pour piloter le projet national d’identification numérique du Timor-Leste, présenté comme un pilier de la gouvernance électronique du pays. Cependant, son président avait été condamné à Singapour en 2024 pour complicité dans l’acquisition de données personnelles volées auprès d’un syndicat chinois de cybercriminalité, destinées à des opérations d’arnaques et de jeux illégaux. Malgré sa condamnation et son interdiction d’activité par la commission des jeux de l’île de Man, il maintient des liens indirects avec des entreprises impliquées dans l’écosystème du jeu en ligne timorais.
Une autre société, Gaming Company A, détenue par un proche du même individu, détient une licence de jeu délivrée par Dili. Bien que cette licence soit censée régir les activités locales, l’entreprise opère essentiellement sur le segment du jeu en ligne offshore, en collaboration avec une structure se présentant comme une loterie nationale. Cette façade légale sert à exploiter plus d’une cinquantaine de sites de jeux suspects et à fournir des services de « white-label » (produit ou service fabriqué ou fourni par une entreprise, mais vendu sous la marque d’une autre) pour des opérateurs basés en Asie du Sud-Est.
L’UNODC relie ce réseau à la triade chinoise 14K et à son dirigeant historique, Wan Kuok-koi, dit « Broken Tooth ». Ses activités de casino et de junket (circuit de gros joueurs) ont longtemps servi à dissimuler le blanchiment, la fraude et le trafic humain dans la région. Le réseau lié à Timor-Leste serait également en contact avec des acteurs cambodgiens déjà impliqués dans des complexes tels que Kaibo et K99 à Sihanoukville, tous deux identifiés comme centres d’escroqueries numériques et de travail forcé.
Le rapport décrit un schéma global où les groupes criminels recourent à des sociétés écrans, souvent enregistrées dans plusieurs juridictions et administrées par des prête-noms. Ces entités permettent de dissimuler les véritables bénéficiaires des investissements et de complexifier les enquêtes. Des professionnels du droit et de la comptabilité participent parfois, consciemment ou non, à ces montages. Certains cabinets spécialisés se livrent à la création en série de sociétés fictives sans vérification sérieuse, alimentant un marché opaque de structures destinées au blanchiment.
Les criminels exploitent aussi les dispositifs de citoyenneté par investissement pour obtenir plusieurs passeports, souvent jusqu’à cinq, afin d’échapper aux poursuites, d’ouvrir des comptes bancaires sous diverses identités et de choisir leur pays de repli en cas d’arrestation. Cette stratégie de « jurisdiction shopping » compromet les efforts internationaux contre le crime organisé.
L’UNODC souligne que ces infiltrations s’inscrivent dans une logique d’expansion des centres d’escroqueries de l’Asie du Sud-Est vers de nouvelles zones plus vulnérables, comme le Timor-Leste ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée, en réponse à la pression policière croissante dans le Mékong et aux Philippines. Les conditions qui favorisent cette implantation sont toujours les mêmes : faiblesse institutionnelle, corruption, coordination défaillante entre les administrations, et cadre réglementaire flou.
Le rapport conclut que la présence d’acteurs criminels étrangers au Timor-Leste, à la veille de son adhésion à l’ASEAN, constitue une menace majeure pour la sécurité régionale. L’infiltration de la RAEOA et du système national d’identification par des individus liés à la cybercriminalité révèle la fragilité du pays face à la manipulation des données personnelles et à la corruption de ses infrastructures numériques. L’expérience des zones du Mékong démontre qu’une fois installés, ces réseaux transforment durablement les territoires infiltrés en pôles de fraude en ligne, de blanchiment et de traite humaine.<
Voir le rapport ici
ou https://www.unodc.org/roseap/uploads/documents/Publications/2025/UNODC_Alert_Strategic_infiltration_of_vulnerable_jurisdictions_through_criminal_foreign_direct_investments.pdf
NDLR : Présenté comme le chef de la Triade 14K à Macao, Wan Kuok-koi a été condamné en 1998 pour blanchiment, usure et appartenance à une Triade et libéré en décembre 2012. Il est également le Président de la « World Hongmen History and Culture Association », association basée au Cambodge qui compte plusieurs dizaines de milliers de membres à travers le monde avec comme objectif de permettre aux chinois de vivre dans d’autres pays en apprenant leur culture… Il prévoit de développer sa propre cryptomonnaie, la « Dragon Coin », et ses intérêts dans le commerce, l’hôtellerie et les casinos. Wan Kuok-koi a aussi créé la « Hongmen Security Company », destinée à aider les sociétés chinoises à se développer à l’étranger.
Le Timor-Leste (ou Timor oriental) est un petit État insulaire d’Asie du Sud-Est, situé dans l’archipel indonésien, au sud de l’île de Timor, dont il occupe la moitié orientale. Ancienne colonie portugaise, il a été envahi par l’Indonésie en 1975, après une brève déclaration d’indépendance, et est resté sous occupation jusqu’en 1999, date à laquelle un référendum supervisé par l’ONU a consacré son indépendance, reconnue officiellement en 2002.
Le pays compte environ 1,4 million d’habitants, majoritairement catholiques, et une économie encore fragile, très dépendante des revenus pétroliers et gaziers issus du champ offshore du Greater Sunrise. Malgré d’importants progrès institutionnels depuis son indépendance, le Timor-Leste reste marqué par un fort taux de pauvreté, une dépendance aux importations alimentaires et une gouvernance parfois instable.

| Désolé, cette page est seulement accessible aux abonnés de crimorg.com! |
|---|

